La maison japonaise n’est pas seulement cette œuvre d’art que l’on regarde d’un œil perplexe dans les beaux livres.
Quelle image avons-nous de l’architecture japonaise ? Qu’imagine-t-on lorsqu’il s’agit de décrire la ville japonaise ? La plupart du temps, on pense aux grands immeubles, à des rues étroites et une densité de population tellement importante que notre cerveau a bien du mal à concevoir que le Japon soit “l’archipel de la maison”. Et pour s’en rendre compte, il n’est pas besoin de quitter le cœur de Tôkyô ou des autres grandes villes du pays. La maison est bien là et elle est un élément indissociable de la ville bien plus qu’elle ne l’est à Paris, par exemple, où posséder une maison (il y en a quand même quelques-unes) relève de l’exploit ou d’un portefeuille bien rempli. Cette maison japonaise est donc loin d’être une nouveauté à tel point que l’architecte allemand Bruno Taut s’y était intéressé dès 1937 dans un ouvrage qui a fait date : Houses and People of Japan. La traduction française est parue à l’été dernier aux Editions du Linteau sous le titre La Maison japonaise et ses habitants. Dans cet ouvrage de référence, Bruno Taut s’attachait à offrir aux lecteurs la possibilité de découvrir la culture locale au travers de l’habitat, car l’auteur n’oubliait pas que les maisons sont avant tout habitées par les hommes avant d’être des œuvres d’art. Or c’est souvent de cette manière qu’on nous présente ces fameuses “maisons japonaises” dans les beaux livres. Mises en valeur par des photographes talentueux, elles ressemblent à ces natures mortes que l’on va observer dans les musées les jours de pluie. La vie en est absente. Pourtant, ces maisons ont été conçues pour être habitées. Elles constituent des multitudes de petits éléments de vie dans la ville et la façon dont elles sont occupées permet de saisir justement le talent de ceux qui les ont conçues. C’est ce que nous avons voulu montrer dans ce dossier consacré à l’architecture et en particulier à celle des maisons. Il fait écho à l’exposition Japon, l’archipel de la maison qui se déroule du 24 juin au 7 septembre à la Cité de l’architecture et du patrimoine, à Paris (1, Place du Trocadéro et du 11 novembre, 75016 Paris.). En guise d’introduction à ce bel événement, une table ronde sera orgainisée le 23 juin à 19h. Elle réunira Véronique Hours, Fabien Mauduit, Jérémie Souteyrat, Manuel Tardits, Sugawara Daisuket et Yoshimura Yasutaka.
La maison japonaise est bien plus qu’un toit et des murs. Il s’y rattache une philosophie de vie qui a bien sûr évolué avec le temps pour se rapprocher des standards occidentaux jusque dans les années 1990. Aujourd’hui, il semble que l’on revienne aux fondamentaux, c’est-à-dire à un désir de créer des espaces où les individus, qui avaient eu tendance à s’éloigner les uns des autres, retrouvent le plaisir d’être ensemble. Ce besoin a commencé à se faire sentir après l’éclatement de la bulle financière et la montée de la précarité sociale. Il s’est renforcé au lendemain des événements tragiques du 11 mars 2011. Le concept des Maisons pour tous (Minna no ie), dont Zoom Japon fut l’un des soutiens, autour duquel de nombreux architectes nippons se sont rassemblés pour imaginer des lieux destinés à “créer du lien” comme on dit, illustre bien cette évolution. Tous les architectes que nous avons rencontrés pour ce dossier mettent l’accent sur cet aspect qui ne va cesser de prendre de l’ampleur dans un pays où le vieillissement de la population est une réalité. Dès lors, on peut considérer que le Japon est un laboratoire architectural dont les autres sociétés industrialisées en passe de connaître le même phénomène pourront s’inspirer ou du moins tirer quelques enseignements.
Espérons qu’après la lecture de ce dossier, l’image que nous avons de l’architecture japonaise aura quelque peu évolué et que notre regard sera moins pollué par nos idées reçues.
Odaira Namihei
Pour en savoir plus :
Nous en sommes bien conscients. La lecture seule de ce dossier ne vous donnera qu’une petite idée de ce vaste sujet, mais nous espérons qu’elle suscitera votre curiosité et votre envie d’aller plus loin. Voici donc quelques idées d’ouvrages complémentaires grâce auxquels vous pourrez approfondir ou explorer d’autres aspects de la question.
Puisqu’il est désormais disponible en français, ne manquez pas de vous procurer La Maison japonaise et ses habitants de Bruno Taut (éd. du Linteau, 55€), une référence que vous pouvez compléter avec Vocabulaire de la spatialité japonaise, un autre livre qui fera date dans l’histoire de l’architecture japonaise. Réalisé sous la direction de Philippe Bonnin et al. (CNRS Editions, 49€), il éclaire littéralement le sujet. A lire également Tokyo d’Olivier Namias dans la collection Portrait de ville (éd. Cité de l’architecture et du patrimoine, 20€). Last but not least, deux superbes ouvrages qui nous ont inspiré ce dossier : L’Archipel de la maison de Véronique Hours, Fabien Mauduit, Jérémie Souteyrat et Manuel Tardits (Le Lézard noir, 35€) qui a le mérite de faire parler les propriétaires et Tokyo no ie – Maisons de Tokyo (Le Lézard noir, 35€) que notre photographe Jérémie Souteyrat a commis avec talent.
Odaira Namihei